‘Si on m’avait dit il y a 35 ans que ma vie serait telle qu’elle est aujourd’hui, je n’y aurais jamais cru!” nous dit Evelyne Zakay avec une fierté non dissimulée. Le ton de sa voix nous communique immédiatement de l’enthousiasme, de la joie de vivre et une grande foi. Elle n’a pourtant pas la vie facile depuis un peu plus d’une année maintenant. En 2015, son mari, Shimshone a été gravement brûlé aux yeux, et au même moment, elle apprend qu’elle est atteinte d’un cancer… ”Il se passait quelque chose de difficile à saisir”, dit-elle. Et pourtant, elle va surmonter en mettant en mots et en scène ces épreuves qu’elle traverse.
L’histoire d’une alya réussie
Evelyne grandit à Lyon dans une famille religieuse et sioniste. Après le bac, elle rejoint sa sœur aînée en Israël. ”Je suis montée avec le Bné Akiva, d’ailleurs jusqu’à aujourd’hui je suis reconnaissante envers ce mouvement pour les bienfaits qu’il ma procurés”. Dans le cadre de son alya avec le Bné, Evelyne doit effectuer une année de chli’hout en France, mais son père s’y oppose: ”Mon père était un vrai marocain, ce qui signifie qu’il ne voulait certainement pas voir ses filles partir de la maison avant le mariage. Mais il était très clairvoyant, il avait compris que notre bien, notre avenir était en Israël”.
Evelyne entame de grandes études dans les mathématiques. Elle avoue que ses premières années d’alya n’ont pas toujours été simples. Les études, le sentiment de solitude avec une famille éloignée et son père qui est tombé gravement malade. ”Mais ces difficultés m’ont permis de nouer des contacts forts. C’est ce qui m’a fait devenir israélienne, je suis vite sortie de mon cocon”, reconnait-elle, insistant sur l’importance d’avoir fait ses études en Israël.
Elle rencontre Shimshone, celui qui deviendra son mari, pendant son toar sheni (maitrise). ”Shimshone venait du kibboutz religieux d’Ein Hanatsiv. Comme tous les jeunes de son milieu, après son service militaire, il est allé un peu à la découverte du monde. Ainsi à 26 ans, quand nous nous sommes mariés, il n’avait ni métier, ni études”.
Le jeune couple cherche un moyen de gagner sa vie. ”Shimshone devait commencer des études et moi je devais travailler. On m’a alors proposé de faire un doctorat en mathématiques”. Cette formule permettait à Evelyne de toucher une bourse pendant cinq ans. ”J’ai reçu beaucoup d’aide du Ciel, la recherche en maths n’est pas évidente”. A l’issue de son doctorat, on lui propose un poste de direction au Collège Académique du Kineret. Pour Evelyne, c’est une bonne opportunité qui leur permet en plus de se rapprocher de sa belle-famille. Ils s’installent dans un village de la vallée du Jourdain: Shadmot Mehola, où ils vivent maintenant depuis 18 ans. ”Ce que l’on aime par-dessus tout dans ce lieu, c’est que les gens y sont simples, tout en étant très profonds”.
Pendant son doctorat, Evelyne aura ses trois premiers enfants, des garçons, elle en aura encore trois autres par la suite.
Six garçons? Quelle ambiance à la maison? Evelyne sourit: ”On est tombés sur un bon modèle, donc on en a commandé d’autres!”. On apprend que même les garçons se disputent pour les vêtements et que lorsqu’elle va leur en acheter, on lui fait remarquer qu’elle n’est pas chez le grossiste! ”Que voulez-vous que j’y fasse, j’ai six garçons et mon mari, et ils ont presque tous la même taille!”.
Aujourd’hui ses deux aînés, Matanel et Elior, sont officiers à l’armée, ”ce qui fait”, raconte-t-elle avec le sourire, ”que nous ne parlons presque qu’en initiales à la maison, comme à l’armée!”
Le jour où tout a basculé
Evelyne et Shimshone sont des bosseurs, de ceux qui se donnent du mal pour leur travail, mais aussi pour leur vie familiale et la vie de leur yichouv. ”On ne s’arrêtait jamais, on vivait à un rythme fou, comme dans un tourbillon. Quand je regarde en arrière, je me dis qu’Hachem voulait nous sortir de ça, faire jaillir de nouvelles forces en nous”.
Shimshone travaille au laboratoire de recherche du Kineret, il est responsable de tout le matériel électronique de recherche. Il y a un peu plus d’un an, il vérifiait les batteries des bateaux du laboratoire, quand soudainement, l’une d’elle lui a explosé au visage. Il est alors brûlé au troisième degré aux deux yeux par l’acide contenu dans la batterie. Il est transporté à l’hôpital dans un état très préoccupant, il était peu probable qu’il puisse revoir un jour. ”Les premiers jours ont été des souffrances atroces”, se souvient Evelyne, ”mais nous avons été très entourés”. Shimshone est plongé dans l’obscurité pendant deux semaines et tous les jours, il reçoit des injections de vitamines dans les yeux. Et le miracle se produit: la blessure cicatrise, les yeux fonctionnent!
Mais c’est au moment où Evelyne et son mari pensent pouvoir entamer la convalescence, qu’un drame les frappe à nouveau. Evelyne, vient d’avoir 50 ans, elle se rend à une convocation de sa caisse maladie pour une mammographie. Quelques jours plus tard, on lui annonce qu’elle doit passer une biopsie… ”C’était au mois d’août l’année dernière, nous n’avons rien pu faire pendant ces vacances avec les enfants, nous étions tellement préoccupés par les résultats de la biopsie que nous attendions”. Et le verdict tombe: Evelyne a un cancer…
”Parler Emouna”
L’annonce du cancer d’Evelyne a été un choc. ”Que se passe-t-il? D’abord Shimshone, après moi?”. Le couple va voir le Rav Shmouel Eliahou, à Tsfat qui leur dit que D’ les secoue. ”Mais pourquoi?”, interrogent-ils, ”nous n’avons rien fait de mal!”. Le Rav ne les connait pas, mais leur dit: ”Vous devez faire quelque chose que vous ne faites pas, je sais que vous travaillez avec beaucoup de non-religieux. Parlez Emouna!”.
Cette visite ajoute au désarroi d’Evelyne et Shimshone, tout est flou: ”Je ne me suis pas rebellée contre la décision d’Hachem, je l’ai acceptée mais j’ai cherché à comprendre ce que cela venait me dire”. Evelyne prend alors la ferme décision qu’elle ne tombera pas: ”en une fraction de seconde, j’ai su ce que je devais faire: écrire une pièce, en hébreu, dans laquelle je raconterai nos épreuves, notre emouna, notre foi, nos doutes. Et je la jouerai sur scène”.
Comment un docteur en mathématiques, très rationnelle, en arrive-t-elle à prendre une décision si rapide et si peu rationnelle?
”J’ai pris cette décision, dans un moment irréel, de folie. Je pense que les plus grandes décisions sont prises en une fraction de seconde, sans réfléchir”. C’est la raison pour laquelle elle nomme sa pièce, ”Shavrir Shniya” (fraction de seconde).
Il ne faut pas aller chercher loin pour comprendre, cependant, pourquoi cette intellectuelle s’est transformée en scénariste et comédienne. Evelyne nous confie qu’elle a une personnalité complexe: ”Je suis à la fois très rationnelle et très artistique. Je perçois les maths comme un art, à un haut niveau, cela consiste à construire des mondes et à étudier leurs capacités. J’aime beaucoup enseigner, j’aime la musique, j’ai fait du yoga du rire, je fais beaucoup de sport. Comme le dit mon mari: ”On ne s’ennuie pas avec toi!”. Mes fils ont hérité de ce côté artistique, ils jouent de la musique, ils chantent”. C’est d’ailleurs Amitsour, son troisième fils, 19 ans, qui a composé toute la musique du spectacle d’Evelyne. ”Il a compris intuitivement ce qui me correspondait, ce qui collait le mieux à ma pièce”.
La thérapie par le théâtre sublimée
Quand elle a annoncé son intention à la maison, on ne l’a pas crue. ”Maman a souvent des folies” diront même ses fils. Puis ils ont du mal à accepter l’idée: ”mon mari est très discret, il ne supporte pas que l’on parle de lui et c’est ce que je fais dans toute la première partie du spectacle”. Mais ils finissent par la suivre parce qu’ils comprennent qu’elle en a besoin et ce spectacle est devenu un projet familial.
Evelyne n’attend pas d’être sortie de l’épreuve pour écrire, non. ”C’est ce qui m’a aidée à tenir”, estime-t-elle. Elle écrit alors qu’elle est totalement plongée dans le calvaire du cancer. ”Envers et contre tout, j’ai voulu voir les choses autrement, rire même si j’ai beaucoup pleuré, même si j’ai vécu des moments très, très difficiles”. Le seul moment où elle n’écrira pas, c’est lors d’une série de soins de 5 semaines qu’elle subit à Hadassa à Jérusalem. Elle loge chez des amis et ne rentre que le shabbat. Elle trouvait alors tout prêt, les voisins du village s’étant mobilisés, ses enfants et son mari ayant pris en charge, tant bien que mal, la gestion de la maison. ”J’étais épuisée par les traitements, je dormais beaucoup, je regardais beaucoup de films, je me suis totalement coupée. Je n’écrivais que quelques petites choses sur mon carnet”.
Evelyne est aidée dans son œuvre par une amie, Dafna, spécialiste de la thérapie par le théâtre. ”Au début, elle avait des réticences. Elle me disait que je pouvais difficilement écrire et monter sur scène alors que j’étais au cœur du moment que je voulais décrire, qu’il serait difficile de sortir quelque chose de bon en remuant le couteau dans la plaie encore ouverte”. Mais Evelyne insiste et Dafna la suivra et ne le regrettera pas.
Comment fait-on de son histoire personnelle, un texte qui parle au public?
”On ne fait pas une pièce de théâtre pour soi-même. C’était un feu qui brûlait en moi, je devais le faire, même si je ne comprenais pas pourquoi”. Ce qu’elle sait c’est qu’elle veut briser une barrière, celle du silence: ”Tellement de gens dans ce pays traversent des épreuves terribles. Mais la plupart n’en parlent pas”. Evelyne a voulu donner de la voix, mettre des mots et surtout un nom sur ce qu’elle vivait et que tant d’autres personnes vivent.
”Je suis convaincue que le fait de parler m’a aidée, mais a aussi aidé mon entourage, qui savait alors mieux me comprendre. Des malades qui sont venus me voir jouer m’ont affirmé que cela leur avait donné du courage”. Evelyne nous confie même qu’à travers sa pièce, elle a pu dire à ses enfants des choses qu’elle ne leur aurait probablement pas dites autrement.
Elle veut toucher un public le plus varié et large possible. Elle réfléchit même à le rendre accessible à un public francophone avec l’aide et les conseils d’Avraham Azoulay.
Son spectacle parle d’un sujet grave, mais, le tempérament et le charisme d’Evelyne aidant, il est parsemé de moments drôles: ”Ces passages sont sortis naturellement. Je ne me suis jamais dit que j’allais faire de l’humour avec les épreuves que nous avons traversées”. Il était très important pour l’auteur et la comédienne qu’elle est de ne pas rester statique sur scène, assise sur une chaise. Elle joue, dans le plein sens du terme.
”J’ai confiance en l’avenir, bien sûr! Je n’ai pas le choix!”
Entre le moment où Evelyne a appris qu’elle était malade et la première fois où elle est montée sur scène, il s’est écoulé exactement neuf mois… tout un symbole! ”Nos fils ont eu une enfance heureuse, puis ils ont été confrontés aux difficultés de la vie, mais ils ont aussi appris qu’il fallait envers et contre tout continuer”.
L’accident de Shimshone, la maladie d’Evelyne, tout cela a évidemment modifié leur vision de la vie: ”On sait plus apprécier chaque instant. Je travaille moins, par la force des choses, mais aussi parce que nous avons compris que nous devons nous faire plaisir. Ma vie a désormais un sens à chaque instant”.
Même si aujourd’hui, la tumeur a disparu, Evelyne continue à prendre des traitements et sait qu’il y a toujours un avant et un après cancer. Mais pour autant, elle reste pleine d’espoir en l’avenir: ”Bien sûr! Je n’ai pas le choix! Je n’ai pas peur de mourir, je n’en ai pas envie, mais cela ne me fait pas peur. Je m’en remets à Hachem. Cela n’a pas de sens de se demander s’il y aura un demain, je ne le sais pas”.
Cette foi, celle dont parlait peut-être le Rav Shmouel Eliahou, est très présente dans son spectacle lors duquel on assiste à de véritables dialogues avec D’ieu. ”D’ieu fait partie de ma vie, je parle avec lui. Je sais que nous ne maîtrisons rien”.
Evelyne est pleine d’entrain et se déclare même la première surprise de sa réaction face à sa maladie: ”Il y a beaucoup de hauts et de bas, parfois je suis vraiment au plus bas mais j’ai fait mon choix: la vie”.
L’aspect authentique et courageux de la démarche d’Evelyne face à l’épreuve se résume dans une phrase qu’elle prononce à plusieurs reprises: ”Mon cancer a été un cadeau. J’ai prié D’ieu pour qu’Il m’aide à voir le bon dans le mauvais et c’est cela mon plus grand cadeau. Je me suis connue, je me suis trouvée malgré les immenses difficultés. Cette pièce me rappelle que tous les jours, je me bats pour vivre et pour sourire, c’est sans fin”.
Guitel Ben-Ishay
Bravo! Refoua shelema! Dash aux Kfir de Shadmot