A l’initiative du Mouvement pour la Souveraineté (Ribonout) animé par Nadia Matar et Yehudit Katzover, un groupe d’une vingtaine de journalistes, responsables d’organisations ainsi que l’ancien député Arié Eldad s’est rendu mardi dans le Néguev pour se rendre compte sur place de la problématique qui fait la une des informations depuis quelques mois : l’apparition rampante d’un Etat dans l’Etat dans le Néguev, des zones de non-droit de plus en plus nombreuses et une violence qui ne fait qu’augmenter sous différentes formes.
Les membres du groupe ont pu assister à des interventions fort intéressantes de la part d’intervenants directement concernés par la question : le journaliste d’investigation Akiva Bigman, habitant du Néguev, spécialiste de ce domaine et auteur de reportages sur la question, Meïr Deutsch, directeur-général de l’organisation Regavim qui combat depuis des années le phénomène des constructions bédouines illégales mais propose aussi des plans de solutions détaillés aux gouvernements successifs, Ahmed El-Assad, maire du conseil local bédouin de Lakiya, adepte de la concertation et Pini Dabash, le charismatique maire du conseil local d’Omer.
L’impression générale de cette journée est que la « question bédouine » est devenue avec le temps une bombe à retardement pour l’avenir de l’Etat d’Israël et que le temps qui passe rend une solution de plus en plus difficile en raison d’une perte progressive de la gouvernance de l’Etat. De 11.000 personnes en 1948, originaires de différentes contrées du Moyen-Orient, la population bédouine du le Néguev atteint aujourd’hui 270.000 personnes environ. Près de 60% environ d’entre eux vivent dans sept villes et onze conseils locaux reconnus, et 40% dans ce qui est appelé « la dispersion bédouine » avec 35 villages non-reconnus et un nombre incalculable de constructions éparpillées sur de larges espaces, dont des terres domaniales et privées. Pour donner un ordre d’idée, les localités bédouines toute confondues du Néguev occupent 130km2 du territoire alors que les localités juives, à population beaucoup plus nombreuses s’étendent sur 55 km2. Cela à cause de la tradition bédouine qui accapare et répartit les terres entre clans et familles sans se soucier du découpage cadastral de l’Etat.
Elément très important à prendre en compte et apporté en préambule par Akiva Bigman et Meïr Deutsch dans leur introduction historique, la question bédouine n’est pas, à l’origine, de nature nationaliste. Il s’agit de la confrontation entre d’une part une population d’origine nomade qui a sa propre culture, ses propres lois et ses traditions basées sur la famille, le clan et la tribu et de l’autre, un Etat souverain qui désire légitimement imposer une loi identique pour tous les citoyens.
Malheureusement, depuis 1948, les gouvernements israéliens successifs, qu’ils soient de gauche ou de droite, n’ont pas su apporter de solution définitive pour concilier les deux impératifs. De nombreux commissions et plans ont été élaborés mais sans succès pour reloger la « dispersion » bédouine dans des villages et villes reconnues et mettre fin à l’occupation rampante des espaces. De leur côté, certains responsables bédouins n’ont pas toujours joué le jeu et adopté une attitude victimaire, aidés en cela par des organisations d’extrême gauche financées en partie par des fonds étrangers, en estimant que c’est à l’Etat de faire tous les efforts et accepter leur différence culturelle. Beaucoup se considèrent comme « natifs » et « autochtones » face à un Etat d’Israël considéré comme « envahisseur ». Cette tendance est aujourd’hui renforcée par la présence déterminante au gouvernement israélien du parti islamique Ra’am qui puise son électorat dans cette population et qui défend becs et ongles les privilèges que se sont arrogés certains clans bédouins.
Le maire bédouin de Lakiya a par exemple attribué toute la responsabilité du problème sur l’Etat d’Israël tout en affirmant souhaiter des solutions négociées avec les pouvoirs publics pour résoudre la question du relogement des bédouins. Il a repris l’argument selon lequel les constructions illégales seraient la conséquences d’un refus permanent de l’Etat d’Israël d’accorder des autorisations de construction, argument contestable lorsque l’on étudie de près les us et coutumes au sein de cette population quant à la répartition et l’utilisation des terres qui opposent souvent entre elles les familles ou les tribus – parfois de manière meurtrière – laissant volontairement de très nombreux terrains constructibles inoccupés.
Autre allégation qui semble étrange, celle du niveau socio-économique catastrophique dans lequel se trouverait la population bédouine. Par nature, il est extrêmement difficile d’établir des statistiques fiables et exactes sur le niveau socio-économique des Bédouins. Il est vrai qu’une bonne partie de la population vit dans des conditions modestes mais cette visite dans plusieurs villages a permis d’apercevoir, comme c’est également le cas en Judée-Samarie, de nombreuses voitures et maisons de très haut-standing qui n’ont rien à envier à celles que l’on voit à Savion, Ramat Hasharon ou Herzliya Pitoua’h, signes d’une économie parallèle.
C’est dans cette incurie de l’Etat que sont venus progressivement s’engouffrer des phénomènes qui rendent aujourd’hui la situation de plus en plus dangereuse : apparition de bandes du crime organisé, surgissement d’un nationalisme « palestinien » par le biais de la polygamie avec l’arrivée de nombreuses épouses venues de Judée-Samarie et islamisation rampante d’une partie de cette population jadis « laïque » sous l’influence de la branche sud du Mouvement islamique arabe israélien (Ra’am) mais aussi de sa branche nord, encore plus militante, un grand nombre d’enseignants des écoles du Néguev provenant de ce courant. Pour cela, il suffit de voir le nombre de mosquées qui poussent dans les villages bédouins que le groupe à longés.
Le maire d’Omer, Pini Dabash, qui vit la situation quotidiennement sur le terrain a dressé un sombre tableau et il ne cesse d’alerter les autorités : le Néguev est de plus en plus gangréné par le racket, le trafic de drogue et d’armes, les constructions illégales, la corruption dans certains conseils locaux, le vandalisme des symboles de l’Etat, les vendettas entre clans rivaux, les violations systématiques des règlements élémentaires du code de la route, les viols, les crimes d’honneur, les vols d’armes et de matériel dans les bases de Tsahal, les jets de pierres sur les voitures et les autobus etc. etc.
Face à cela, regrette Pini Dabash, l’Etat n’arrive plus à gérer. Les policiers ne sont pas assez nombreux, ils ne sont plus respectés quand ils ne sont pas carrément physiquement menacés lors d’interventions, et les juges, qui souvent habitent dans la région, hésitent à appliquer des sanctions sévères et dissuasives de peur de voir leur famille menacée de vengeance.
Le groupe a achevé sa visite avec un goût quelque peu amer et une inquiétude palpable : la constatation d’une situation qui semble insoluble parce que trop longtemps négligée et la confirmation que la lutte pour l’indépendance d’Israël n’est de loin pas finie et elle ne se résume pas aux territoires libérés en 1967. Le Néguev, la Galilée et les villes mixtes du pays sont en proie à des mouvements de fond irrédentistes, encore minoritaires mais en augmentation constante et exponentielle par el biais des réseaux sociaux. Ces « territoires perdus » ont urgemment besoin d’une réponse ferme de l’Etat et d’un rétablissement de la souveraineté sous peine de voir le projet sioniste remis en question.
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Photos : Meïr Elipour