Le philosophe Bernard-Henri Lévy est venu en Israël pour présenter le 02 décembre au musée d’art de Tel-Aviv son ouvrage à paraître : « Le Génie du judaïsme » (Grasset, 2016). Dans ce livre, il apporte des réponses à des questions aussi vastes et profondes que : Quelle est la forme du nouvel antisémitisme ? Que représente Israël dans l’imaginaire et la vie d’un Juif de la diaspora ? En quel sens peut-on et doit-on dire des Juifs qu’ils sont « forts » ? Le judaïsme prescrit-il de croire ou d’étudier ? Est-il encore possible de combler le fossé grandissant qui sépare les Juifs laïcs des Juifs de l’étude ? Philosophe, penseur engagé, les trois lettres BHL et sa chemise blanche qui le caractérisent se retrouvent sur beaucoup de fronts. Voyageant à travers le monde et les conflits, il nous apporte son regard et son analyse sur les évènements actuels et sur sa relation à Israël.
Le P’tit Hebdo : Quel regard portez-vous sur les terribles attentats du 13 novembre ?
Bernard-Henri Levy : Je l’ai tout de suite dit, le soir même, dans un texte paru, je crois, dans Haaretz. C’est une guerre. Une guerre étrange, bien sûr. Une guerre de type nouveau. Une guerre sans front nettement défini et où tout citoyen, du coup, est un front à lui tout seul. Mais une guerre. Et une guerre dont l’ennemi a un nom, naturellement : l’islamisme radical, le jihadisme.
LPH : Dans sa tournée diplomatique consécutive aux attentats, François Hollande a également rendu visite à Vladimir Poutine. D’autres chefs d’État peu recommandables, comme Bachar El Assad, se disent prêts à se battre contre Daech. « Les ennemis de nos ennemis » devraient-ils donc devenir nos amis ?
B-H.L. : Non. Je ne crois pas. Bachar a créé et voulu Daech. Et Poutine le ménage. Ce sont de faux amis et de mauvais alliés. C’est d’ailleurs vrai pour Israël : je ne crois pas une seule seconde à la sincérité des déclarations d’amitié qu’il a pu arriver à Poutine de proférer…
LPH : Vous avez déclaré : « le jour où on se décidera vraiment à faire la guerre à Daech, ce sera beaucoup plus facile qu’on ne le pense ». Qu’est-ce qui vous fait penser qu’on puisse venir à bout rapidement d’une organisation qui maîtrise un grand territoire, qui possède de gros moyens financiers et humains et qui sanctifie la mort ?
B-H.L. : L’expérience. Les choses que j’ai vues. Il se trouve que je tourne, depuis quelques mois, un film documentaire sur la ligne de front qui sépare Daech du Kurdistan irakien. Eh bien chaque fois qu’il y a affrontement, chaque fois que les islamofascistes affrontent vraiment et directement les Kurdes, ce sont les Kurdes qui l’emportent et les islamofascistes qui battent en retraite. Bons terroristes, donc – mais piètres combattants.
LPH : Qu’est-ce que le monde pourrait ou devrait apprendre d’Israël dans cette période compliquée ?
B-H.L. : La possibilité de vivre en « état d’urgence » sans jamais tomber dans « l’état d’exception ». C’est le miracle d’Israël depuis presque 70 ans.
LPH : Vous venez en Israël présenter « Le Génie du judaïsme ». À l’approche de Hanouka, quelle est la lumière que le peuple juif a apportée au monde, selon vous ?
B-H.L. : Ce que je viens de vous dire. Plus, aussi, un incroyable modèle de société multiethnique qui devrait servir d’exemple aux autres grandes nations démocratiques. Une chose que j’essaie, chaque fois que je le peux, de rappeler aux Américains et aux Européens enclins à critiquer le « sionisme » ou à promouvoir cette infamie qu’est la campagne dite BDS : Israël est un pays où la minorité arabe jouit de tous les droits démocratiques, ce qui est la moindre des choses. Mais, plus important : il y a trois partis arabes à la Knesset ; un nombre de députés dont la France n’a pas le commencement du début ; l’arabe est la deuxième langue officielle du pays ; et vous avez un juge issu de la dite minorité arabe à la Cour Suprême. Qui dit mieux ?
LPH : Vous êtes sous le feu de nombreuses attaques, notamment pour votre engagement en faveur d’Israël…
B-H.L. : Il y a bien d’autres raisons, hélas, qui font que je suis attaqué.
LPH : Comment vivez-vous ces attaques ? Sont-elles antisémites ou politiques ?
B-H.L. : Parfois, il y a de l’antisémitisme. Parfois, le plus souvent, juste l’exercice normal du débat des idées. Mais cela m’est égal. Il y a un chapitre de mon livre qui s’appelle « La force des Juifs ». Je pense cela. . Et j’aime l’idée de cette force.
LPH : Comment définiriez-vous votre lien à Israël ?
B-H.L. : Fidélité inconditionnelle. Je crois avoir été là, aux côtés des Israéliens, lors de toutes les guerres qu’ils ont eu à livrer depuis plus de 40 ans. Ou, si je n’y étais pas pendant, j’y étais juste après. Pour témoigner. Pour écrire. Pour dire, aussi, et tout simplement, mon amitié. Cela ne m’interdit évidemment pas – mais vous en doutez – de dire mes désaccords avec tel ou tel gouvernement. Le gouvernement actuel, par exemple. Ou ceux qui, dans la classe politique israélienne, semblent ne pas vouloir comprendre qu’il n’y a pas d’alternative à la solution des « deux États ». Ou plutôt si. Il y en a une. C’est ce fameux État binational où les Juifs seraient minoritaires et dont les pires ennemis d’Israël rêvent depuis des décennies.
Propos recueillis par Avraham Azoulay
Photo: Alexis Duclos