C’est une onde de choc qui a traversé le judaïsme français avec l’annonce de la disparition de l’un de ses plus grands maîtres, le Professeur Benno Gross, le lundi 18 Av, à Jérusalem. Retour sur la vie et l’œuvre de ce grand personnage qui laisse un vide à la mesure de son immense érudition.
Benno Gross est né en 1925 à Strasbourg où il reçut une éducation religieuse poussée. En plus de ses connaissances profondes dans le domaine de la Torah, il a été professeur de philosophie et doyen de la faculté des Lettres et Sciences humaines de Bar-Ilan. L’œuvre principale de sa vie en France est certainement la fondation de l’École juive de Strasbourg, l’École Akiba, en 1948. Il épouse Miryam en 1950. Ils ont eu 5 enfants qui ont tous fondé des familles religieuses en Israël.
Torah Im Dere’h Eretz
La famille de Benno Gross émigre de Pologne et d’Allemagne à Strasbourg en 1925. Il grandit dans le milieu orthodoxe de la communauté Ets Haïm, une communauté qui se caractérisait par son réel souci d’éducation des jeunes. Suivant cette préoccupation, Benno Gross fait partie des fondateurs de l’École Akiba de Strasbourg après la guerre. À l’occasion d’une de nos rencontres avec lui, il nous expliquait le rôle de l’école juive dans l’avenir de notre peuple : « Les écoles juives en France sont nées d’initiatives prises après la seconde guerre mondiale. Avant-guerre, l’enseignement juif était donné uniquement dans des Talmudé Torah, enseignement formel, qui s’arrêtait en général à l’âge de la bar-mitsva. Après la seconde guerre mondiale, il était important de donner aux jeunes un motif pour rester Juif. Il était indispensable que le jeune puisse évoluer dans une ambiance juive totale, en conférant à son destin juif un sens vivant. Seule une école juive à plein temps pouvait offrir un tel cadre, avec à la fois un enseignement général et un enseignement juif d’excellent niveau. C’était une révolution ».
Pour Benno Gross, l’école juive devait donner la possibilité d’établir une synthèse entre les études profanes et les études saintes et analyser l’ensemble de la vie humaine à travers le point de vue de la Torah. Pour lui, « le problème de Torah Im Dereh Eretz se pose maintenant dans les termes de Torah Im Dereh Eretz Israël. Le problème essentiel est de se placer au niveau de la collectivité, et non seulement à celui de l’individu ». Il était de ceux qui pensaient que nous avons aussi bien besoin de personnes qui associent Torah et travail que de personnes dans les yechivot. Ces deux groupes devant se respecter et savoir quelle est la valeur de chacun.
Un sioniste convaincu
Pour Benno Gross, « la création de l’État d’Israël embrasse la totalité de l’existence juive ».
L’école Akiba est née en 1948. Elle était la première école juive d’où les élèves sortaient en parlant hébreu. Des contacts avaient tout de suite été établis avec le pays. Benno Gross se rend en Israël en 1949, invité par l’Agence Juive avec d’autres directeurs d’écoles juives du monde entier. Des professeurs israéliens venaient dispenser des cours. Il libérait les élèves de Seconde et de Première un mois avant la fin de l’année, et ils revenaient un mois après la rentrée pour leur permettre de passer leurs vacances dans les yeshivot israéliennes. Ensuite, de façon presque naturelle, certains élèves sont montés en Israël. Il y a eu une Alya assez remarquable des anciens de l’école Akiba.
En 1969, la famille Gross fait son alya. Le déclic, c’est la Guerre des Six Jours qui l’a déclenché : « Nous avions le sentiment qu’une page importante de l’Histoire d’Israël avait été tournée, Jérusalem réunifiée, Hevron récupérée », nous confiait Benno Gross. Il fallait participer à ce qu’il considérait comme un renouveau de la nation juive, aussi bien spirituel que matériel. Avant même son arrivée, Benno, qui parlait couramment hébreu, a été sollicité par des responsables de l’éducation pour prendre la direction d’une école sioniste religieuse à Jérusalem. Il a également été contacté par l’université de Bar-Ilan pour donner des cours de philosophie. Il menait donc ces deux activités en parallèle. Au fur et à mesure, il finit par se consacrer plus particulièrement à l’enseignement supérieur, à la recherche, et à la publication d’ouvrages de philosophie et de pensée juives.
Il avait foi en la société israélienne : « nous sommes à une croisée des chemins, le pays finira par prendre conscience de la nécessité absolue d’établir un État juif et non un État habité par des Juifs. Nous sommes une nation en devenir, dont la population vient du monde entier avec des cultures et des rapports au judaïsme très variés. Il faut lui donner la possibilité d’évoluer. Je suis confiant. L’État d’Israël deviendra de plus en plus un élément central de la vie juive mondiale », estimait-il dans une interview qu’il nous avait accordée. Mais il martelait que cet optimisme devait être constamment soutenu pour faire progresser l’État dans un certain sens.
Un hyper actif
Benno Gross ne s’arrêtait jamais, il a passé sa vie à transmettre, à enseigner, à s’occuper des jeunes et des moins jeunes, à écrire pour diffuser une parole forte et nécessaire. Il s’est éteint à 90 ans, et jusqu’à ses derniers jours il aura poursuivi toutes ses activités. Il a su allier dévouement pour la communauté et un foyer familial épanoui. Il consacrait du temps à ses enfants, en particulier à travers l’étude, contact privilégié pour lui entre un père et ses enfants : « Il est fondamental de faire sentir aux enfants que le fait d’être Juif est le phénomène central de leur vie. J’ajoute que le plus important n’est pas ce que l’on dit mais l’exemple personnel d’investissement que l’on donne », affirmait-il.
Après plus de 60 ans de mariage, voilà comment Miryam son épouse, le décrivait : « C’est un grand travailleur, intelligent, communicatif, qui ne se met jamais en colère. Sa capacité à ne jamais faire de médisance (lachon hara) est fascinante. Et nous riions beaucoup ensemble ».
À cette image personnelle nous ajouterons celle d’un Professeur, d’un maître à penser, d’un grand Monsieur, humble, aimant la Torah, la Terre et le Peuple d’Israël. En un mot, un modèle pour des générations.
יהיה זכרו ברוך
Guitel Ben-Ishay