Sionisme et Excellence. Tels sont les deux mots choisis par Naftali Bennett pour décrire le système éducatif qu’il s’emploie à mettre en place. Rencontre avec un ministre de l’Education qui ne cache pas ses ambitions : révolutionner la façon d’enseigner en Israël
Propos recueillis par Avraham Azoulay
Quels sont les principaux chantiers entrepris par le ministère de l’Education pour cette rentrée ?
Nous travaillons essentiellement dans trois directions. Tout d’abord, le premier dossier qui nous tient particulièrement à cœur concerne la taille des classes. Nous voulons réduire les effectifs pour passer d’une moyenne de 40 à 28 élèves par classe au primaire. Nous avons commencé l’an dernier par la kita Alpeh, cette année nous ajoutons la kita Beth, et ainsi de suite sur 4 ans. Je me suis battu pour débloquer des budgets, pour moi, c’est une avancée historique.
Deuxième chose, c’est l’ajout d’une deuxième assistante maternelle dans les écoles maternelles (Ganim) pour que les classes de 35 enfants soient encadrées par trois adultes (une maîtresse et deux assistantes maternelles). Nous avons donc embauché et formé 4600 personnes qui vont prendre leurs fonctions à la rentrée. Là aussi c’est un sujet qui m’est cher. Rappelez-vous qu’il y a même eu une crise de coalition à cause de cela.
Enfin, troisième point, nous voulons mettre l’accent sur l’enseignement des mathématiques et de l’anglais. Avec les mathématiques, nous avons déjà de beaux résultats. Cela faisait 10 ans que la matière était en baisse systématique, et maintenant on assiste à une reprise d’intérêt. Cette année, nous voulons aussi encourager l’apprentissage de l’anglais et enseigner certaines valeurs : l’amour de la terre, l’amour du peuple, la connaissance du Tanakh. Ces cours ne seront pas uniquement destinés aux élèves religieux, mais à tous les courants. Je ne veux pas dispenser un enseignement de droite, je veux que chaque étudiant se sente relié à sa tradition. Le Tanakh n’est pas la propriété des seuls religieux; la Terre d’Israël non plus. Il faut justement casser ce monopole. Ceux qui ont créé l’Etat étaient des hommes de gauche, mais ils étaient très proches du Tanakh. Au fil des ans nous avons perdu cela. Si on doit résumer nos efforts, je parlerais de sionisme et d’excellence. C’est sur ce chemin que nous nous sommes engagés l’an dernier, et sur lequel nous souhaitons continuer cette année.
Qu’est-il prévu pour les élèves de collèges et de lycées ? Les jeunes Israéliens qui sont souvent très vifs, rapides, intelligents, ne montrent pas toujours de l’intérêt pour les études. Ne pourrait-on proposer une réforme pour leur éviter l’ennui ?
Justement, sur ce point nous avons mis en place une initiative très importante à nos yeux, que nous appelons “l’apprentissage significatif”. Aujourd’hui, nous avons besoin de diplômés actifs. Nous ne voulons pas que les jeunes soient uniquement des puits de science, pour cela il y a Google. En ce 21e siècle, nous voulons créer des esprits curieux, qui s’intéressent à tout. Nous avons donc décidé de réduire de 30 % le contenu de toutes les unités, pour libérer du temps aux professeurs, et leur laisser ainsi une part de créativité pour enseigner. Par exemple, au lieu de raconter la Shoah à partir des livres, ils pourront emmener leurs élèves interroger des rescapés.
Nous voulons modifier toute la façon d’enseigner. C’est une grande réforme qui ne sera pas simple et prendra du temps, imaginez, cela concerne 2,3 millions d’enfants. Mais elle me paraît cruciale.
Quand je dirigeais une boite de hi-tech, je ne cherchais pas à recruter des jeunes qui avaient appris leurs matières par cœur. Je voulais embaucher des jeunes dotés d’une véritable personnalité, qui savaient s’exprimer devant la classe, travailler en équipe, être créatif. Nous voulons construire un système éducatif qui générera plus de créativité. Nous voulons susciter l’intérêt, justement pour éviter l’ennui. Nous allons passer d’un système qui diffuse de la connaissance à un système qui construit des personnalités, des jeunes en devenir. C’est aussi ça l’éducation.
Etes-vous en contact avec des responsables de premier plan dans le domaine de l’éducation d’autres pays ?
Absolument. En septembre, je vais organiser une conférence internationale qui va réunir les ministres de l’Education de différents pays. Ils sont intéressés à venir apprendre et comprendre l’initiative israélienne, d’où nous puisons notre innovation, ce qui fait de nous la Start-Up nation. La rencontre se déroulera à Jérusalem, ce qui revêt aussi un aspect politique et démocratique important. Aujourd’hui, le monde nous regarde et se demande comment un pays aussi petit qu’Israël peut-il générer 5 à 6 milliards d’investissement par an dans le domaine du hi-tech. L’équivalent de ce que produit l’Europe toute entière. C’est un miracle !
Pour vous, le hi-tech est un secteur à privilégier ?
Je veux travailler de toutes mes forces pour adapter notre système d’éducation aux exigences du monde du hi-tech. On en revient aux valeurs de base qu’il est important d’enseigner et qui consistent à savoir mettre de la créativité dans l’enseignement. C’est tout un processus. Mais je crois aussi beaucoup aux cadres éducatifs alternatifs, comme les mouvements de jeunesse, les Eclaireurs Israélites, le Bnei Akiva. C’est dans ces cadres que, tout jeune, l’enfant reçoit le goût des excursions, de la découverte de la Terre d’Israël. J’ai d’ailleurs étoffé le budget consacré au bon fonctionnement des mouvements de jeunesse. A titre personnel, je mesure ce que ces groupes m’ont apporté.
Vous souhaitez aussi débloquer des fonds pour renforcer les jeunes Juifs des Etats-Unis. Cela a d’ailleurs fait grincer quelques dents. Qu’en est-il des Juifs de France ?
D’un point de vue historique, Israël a toujours dit à ses Juifs de diaspora, ou vous venez, ou vous donnez. Sinon, vous ne nous intéressez pas vraiment. Aujourd’hui, nous sommes un pays fort, d’un point de vue économique et sécuritaire. Et nous savons pertinemment que tous les Juifs ne viendront pas. Je continue à dire qu’il faut encourager les Juifs à venir, mais si ce n’est pas le cas, alors il faut les aider à garder des liens avec Israël. Nous avons déjà perdu des millions de Juifs à cause de l’antisémitisme. Et qu’avons-nous fait contre ça ?
Déjà, dans le gouvernement précédent, j’ai dit que je voulais investir pour les Juifs de diaspora. On m’a alors répondu qu’il était préférable de s’occuper d’abord des jeunes défavorisés d’Ofakim. L’avenir d’Israël, ce n’est pas seulement les jeunes qui vivent au sein de l’Etat, mais également ceux de diaspora. Dans ce sens, nous avons créé une association à but non lucratif, Mosaika (mosaïque), grâce à laquelle nous avons reçu la somme de 200 millions de shekels de la part du gouvernement israélien, mais aussi des dons de l’étranger, à destination des Juifs de diaspora.
Nous sommes présents sur les campus américains par exemple, via des organisations comme le mouvement Loubavitch, ou Hillel. Nous ne cherchons pas seulement à renforcer les liens des jeunes avec le judaïsme, mais aussi et surtout avec l’Etat d’Israël. Nous dépêchons sur place des émissaires, nous créons des programmes qui s’inscrivent dans la continuité de Taglit, ou Massa, nous encourageons la célébration des Bar-Mitsvot en Israël. Nos premier endroits cibles étaient effectivement les Etats-Unis et la Russie, mais aujourd’hui, nous voulons aussi nous intéresser aux jeunes Juifs d’Europe, et de France en particulier.
Cela fait 2 semaines que vous ne faites plus les titres de l’actualité ? Tout va bien pour vous au gouvernement ?
Oui, j’ai confiance dans la stabilité du gouvernement actuel. Je pense qu’il va tenir encore deux ans. En ce qui concerne Habyat Hayehoudi, nous nous employons à construire un système éducatif de qualité, un système juridique de qualité. Nous voulons nous battre pour renforcer la sécurité.
Mon but à moi, c’est de renforcer l’éducation. Et à quelques jours de la rentrée des classes, je veux dire aux parents qu’ils vont confier leurs enfants à un système éducatif de valeur. Que nous sommes en train de développer des moyens efficaces pour intéresser et développer la curiosité des élèves. Que les enfants d’aujourd’hui sortiront de l’école dotés de talents adaptés aux exigences du 21e siècle, bien plus qu’une simple connaissance, ce qui leur permettra de devenir les brillants adultes de demain.