La Michna (Pirke Avot 3,17) nous enseigne au nom de R. Eliezer Ben Kisma que les calculs d’éphémérides, ainsi que les calculs de Gematria (basés sur les valeurs numériques des lettres, א=1, ב=2 , ג=3, etc.) sont vis-à-vis de la Torah comme des פרפראות. De quoi s’agit-il ? De façon générale, on comprend ce mot comme pouvant désigner un apéritif, ou bien un dessert, peu important. Que dit vraiment la Michna ?
Rabbi Ovadia de Bertinoro (le « Bartenora ») explique que les éphémérides sont les calculs concernant les constellations (en vocabulaire moderne, les calculs astronomiques) et pour ces fameux פרפראות, de même que l’on sert un dessert simplement pour le plaisir, ces sagesses-là permettent à celui qui les maîtrise de briller aux yeux de ses contemporains (il écrit : les créatures).
Pour ce qui concerne les calculs de Gematria, c’est un fait avéré que certains les voient comme un jeu de l’esprit sans grande conséquence. Par exemple, ces calculs faits en lieu et place de paroles de Torah lors de Cheva Bera’hot. De nos jours, à l’aide de bases de données informatiques à la portée de tous, on pourra trouver de superbes calculs sur les noms des jeunes mariés. Toutefois, nos Sages nous rapportent de tels calculs par-ci par-là dans la Gemara ou ailleurs. Ces calculs méritent notre attention.
Quid des calculs astronomiques ? Nous avons déjà évoqué ici l’importance accordée à ce genre d’étude par de très grands ‘Hakhamim, comme R. Moshe Isserles (le Rama), le Maharal de Prague, Rabbi Elimelekh de Dinow), et bien d’autres. À l’origine on trouve la Gemara (Chabat 75a) : R. Shimon ben Pazi, au nom de R. Yehochoua ben Levi, lequel cite Bar Kappara : à toute personne qui est capable de calculer périodes et constellations (NDLR : les éphémérides) et qui ne le fait pas, s’applique le verset (Isaïe 5, 12) : « ils n’observeront pas l’œuvre de D. et ne voient donc pas le résultat de Son action ». R. Shmuel bar Na’hamani, au nom de R. Yo’hanan : « d’où sait-on que c’est une mitsva de calculer périodes et constellations » ? Du verset (Devarim 4, 6) : “Observez-les et pratiquez-les, c’est là votre sagesse et votre intelligence aux yeux des nations”. Quelle est cette sagesse « aux yeux des nations » ? Le calcul de périodes et de constellations”.
Il ne s’agit pas seulement de briller aux yeux de nos amis et relations, mais aux yeux des nations ! Notons que la Gemara cite séparément le temps (périodes) et l’espace (constellations), mais que R. Ovadia les relie. Pour lui, espace et temps font partie du même phénomène. Espace-temps, on croirait entendre un physicien moderne !
Quant aux calculs de Gematria, on est en droit de penser qu’ils désignent ce qu’on nomme aujourd’hui les mathématiques. Maïmonide enseigne que l’étude des mathématiques aide l’Homme à s’approcher de la connaissance de D. Certains pensent que c’est parce que les mathématiques aident à s’habituer à l’abstraction, d’autres pensent que c’est parce que les mathématiques sont une sagesse. Le Gaon de Vilna a, quant à lui, écrit un livre de géométrie plane.
Alors, que veut de nous R. Eliezer Ben Kisma ? Cette michna succède immédiatement à une michna plus longue qui nous enseigne un grand nombre de conditions d’acquisition de la Torah : « sans crainte de D., pas de sagesse et sans sagesse, point de crainte de D., …, celui dont la sagesse est plus grande que les actions ressemble un arbre qui a peu de racines et de nombreuses branches et qu’un vent même faible peut déraciner, etc. ».
Il semble que R. Eliezer Ben Kisma nous dise : avant le repas, les « amuse-gueule », pas fondamentaux. L’essentiel du repas est à venir. Après l’essentiel du repas, un dessert bien composé a un grand intérêt. Science sans Torah conduit à des questions et à des paradoxes. La solution vient après une étude de fond et se fait jour la compréhension que Torah-et-Science forment le monde « un » que D. a créé (R. Ovadia a parlé de « créatures »…). Alors on profite de toute la douceur de cette union.
Pr Noah Dana-Picard
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