Décrétée par le Judaïsme rabbinique, entre le 17 Tamuz et le 9 Av, la période des 3 semaines de deuil et de penitence m’interpelle.
Les Juifs se sont fourvoyés.
Une nouvelle fois ils se retrouvent au creuset de cette sempiternelle voie, entre faute et espoir, de se voir rédimés.
La façon dont une personne fait face à ses erreurs est ici la chose principale, les réponses correctes et morales transformeront le fautif anti-héros en un héros. Cette confrontation amène le protagoniste à avouer sa faute « mais nous sommes coupables » (les frères de Joseph) ou « j’ai péché contre l’Éternel» (David se confessant devant le prophète Nathan).
Ils ont commis les plus grandes transgressions, comme tuer un père et coucher avec une mère, comme l’avait fait Œdipe, et pourtant, il reste encore, après l’ignominie, la possibilité de redevenir, d’un changement intérieur.
Dans la littérature moderne, nous rencontrons cette préoccupation du péché et de la culpabilité et la manière de les surmonter. Des exemples probants s’y trouvent: « Crime et Châtiment » de Dostoïevski, dans les romans d’Albert Camus : « La Chute » et « L’Étranger ». Puisque nous sommes tous le reflet des héros, les délits de ces derniers nous permettent d’accepter la face sombre de l’humain, notre nature pécheresse, comme tout ou partie de notre nature humaine imparfaite.
Toutefois, la reconnaissance du péché et sa punition conséquente ne vont pas de soi.
Les sentiments de culpabilité peuvent être insupportables et avoir un pouvoir destructeur. Le motif de la responsabilité morale découlant de l’aveu de culpabilité a toujours existé.
Selon Martin Buber, faire face à sa véritable infamie est différent de faire face à ses sentiments de responsabilité bafoués.
La culpabilité doit d’abord être reconnue.
Buber s’intéresse à la possibilité d’un véritable processus de guérison où la personnalité éclaire ses ténèbres, regarde dans l’abîme de sa trahison et connaît l’essence et le signifiant de sa propre implication dans son quotidien.
Il cite Pascal: « la grandeur de l’homme implique sa misère »
Selon lui, la confession du péché de l’homme est un dialogue de soi avec la dimension Divine absolue, qui répond de manière secrète, à travers le surmoi. J’avoue devant Lui ma culpabilité, mes manquements à assumer son Projet, le mettre en pratique et en ordre. Un monde toujours livré à lui-même, empli de haine collective pour si peu d’amour individuel.
Si cet acte d’expiation prend forme et devient à l’avenir, aux sources d’une conduite perfectible, un monde meilleur, une humanité renouvelée au vu et su de l’homme guérissant. Alors, et seulement alors, il y aura un changement substantiel au sein de l’être humain.
Il reviendra. Repenti, ravi par une puissance supérieure et grandi par une entité digne d’être appelée, la renaissance.
Nous trouvons chez Dostoïevski, cité précédemment, un exemple instructif du processus de péché et de culpabilité, une confession, l’orientation d’un cœur vers autrui et l’expiation.
Le protagoniste du livre, Raskolnikov, est le meurtrier d’une vieille prêteuse sur gages. Au début, il planifie le meurtre dans les moindres détails, avec l’intention de commettre le crime parfait. Mais au moment des faits, tout ce qui aurait pu mal tourner, tournera mal, et il assassinera également la sœur de la vieille femme, présente par hasard dans son appartement.
La partie principale de l’intrigue se déroule dans la tête du personnage. Elle raconte la lutte en cours entre le côté de la raison et le côté de l’émotion. Le livre décrit l’évolution d’une lente descente aux enfers de Raskolnikov et sa recherche de salut. Ce dernier s’incarnera dans le personnage de Sonia, une prostituée au bon cœur, vivant pour les autres et représentant la compassion divine. Le jeune assassin trouve sa rédemption dans sa bien-aimée, Sonia, mais seulement après avoir avoué son crime, l’avoir accepté et être condamné à la prison.
Le meurtre de la femme âgée est une matérialisation du besoin de se libérer de la mère intime et de la grande mère (qui dans les mythes apparaît comme le meurtre du monstre matriarcal).
En fait, en tuant la vieille dame, Raskolnikov déclare être captif de ses pulsions instinctives, agressives et inconscientes.
Prenons faits et actes: il n’a guère pu se libérer de leur pouvoir sur son âme et conscience. Son meurtre est l’expression de son désir rebelle, son refus d’accepter les lois, mais il répond à son besoin d’agir en toute liberté. C’est une révolte contre le père archétypal, une insoumission aux principes du droit et des valeurs symbolisées par le père, mais sans avoir encore de valeurs individuelles propres à lui-même. Il s’illusionne être libre, mais une personne asservie par ses pulsions n’est jamais vraiment affranchie.
Le meurtre de la vieille femme conjugue ainsi la parabole tangible de la nécessité de se libérer des parents archétypaux, sans engager en même temps un véritable mouvement d’auto émancipation.
À travers sa remise en cause et en question, le changement chez Raskolnikov est d’abord conséquent de son orgueil arrogant, celui d’un soi-disant élu, pour qui la loi et les valeurs morales ne s’appliquent pas. Il s’est permis d’assassiner celle qui, selon lui, n’avait aucun intérêt à la vie, ni l’amour d’autrui ni la commisération, aucune valeur pour sa propre vie au final.
Au début, il vivait selon des considérations rationnelles, logiques, utilitaires, égoïstes et emphatiques. Au fur et à mesure de son repentir, il s’ouvre au monde émotionnel; une certaine rédemption de l’âme s’introduit en lui. Les mythes décrivent souvent la rédemption de l’âme par la libération d’une figure féminine de prison ou sa sortie des enfers.
Le roman décrit la mutation dans la psyché du protagoniste à partir d’un lien probant avec la dimension féminine en lui: l’empathie, la compassion et l’amour pour les autres où qu’il se trouve, et pas seulement pour la femme aimée. C’est l’expression de la libération dimensionnelle, d’être une âme, refoulée, emprisonnée jusqu’ici. Ce changement lui permettra l’auto-expiation pour son péché.
Non seulement il reconnaît son besoin d’amour mais, aussi, l’étendue émotionnelle des autres pour lui, il ressent pareillement une aspiration au bonheur des autres, avoir pitié, être généreux et savoir se sacrifier pour le bien des autres.
Tout cela se produit dans un contexte de repentance et d’acceptation des valeurs religieuses. Il découvre l’exigence d’admirer quelque chose de transcendant, en dehors de lui et au-delà de lui sur le plan religieux, sur le plan des valeurs et sur le plan humain.
Son crime sera donc une étape par deca la voie du tourment et du repentir vers la rédemption.
Rony Akrich, 66 ans (les Passions d’un Hebreu) enseigne l’historiosophie biblique, il est l’auteur de 5 ouvrages sur la pensée hébraïque et écrit nombre de chroniques et aphorismes en hébreu et français. Il est le fondateur du « Café Daat » à Jerusalem (l’universite populaire gratuite de Jérusalem). Il réside à Kiriat Arba en Judée, il est père de 7 enfants et grand-père de 25 petits-enfants.