Qui a dit qu’une fois la décision prise de faire son alya, il suffisait de monter dans un avion d’El Al pour la concrétiser ? En tout cas, même dans les 30 dernières années, certains ont dû traverser des épreuves pour uniquement arriver jusqu’à l’aéroport Ben Gourion…
En particulier, les Juifs d’Ethiopie. Si un grand nombre ont été amenés lors des opérations Moshé et Shlomo, beaucoup ont marché sur des centaines de kilomètres, bravant des dangers dignes des meilleurs films d’action.
C’est le cas d’Asher Guédamo. Des bagarres contre les brigands à la crainte des cannibales, il nous raconte son épopée qui prouve, une fois encore, l’attachement des Juifs d’Ethiopie à la terre sainte, envers et contre tout.
Jérusalem : le rêve de plusieurs générations
Asher est né et a grandi dans un village, en Ethiopie, où vivait 60 familles juives. ”Nous entretenions de bonnes relations avec nos voisins non juifs. Certes, il arrivait que l’on nous jette que nous n’étions pas ici chez nous, mais dans l’ensemble, on vivait en bon entendement”.
Comme certains métiers étaient interdits aux Juifs, ils étaient ceux qui travaillaient la terre, et ils gagnaient leur vie en vendant aux non juifs leurs produits.
Asher se souvient avoir toujours entendu parler de Jérusalem. ”Notre objectif était d’y arriver, un jour ou l’autre. C’était le rêve de toutes les générations qui nous ont précédés”.
Déjà dans les années 50, des Juifs d’Ethiopie avaient réussi à émigrer en Israël par le Soudan et ceux qui y vivaient encore ont, par leur intermédiaire, entendu parler de ce rêve qui pouvait devenir une réalité.
Une route semée de dangers
”Je devais avoir 4 ou 5 ans, quand mon père a décidé que nous partions pour le Soudan afin de rejoindre Jérusalem”, nous raconte Asher. Mais un des enfants de la famille est malade le jour J, et le départ doit être repoussé. Il le sera encore plusieurs fois.
Puis la famille vend son bétail et se prépare réellement à partir. ”Des voisins non juifs nous ont dénoncés aux autorités. L’armée a débarqué dans le village et a arrêté des hommes dont mon père. Après une année de prison et de tortures, il a été libéré. C’était une période très difficile, ma mère ne pouvait pas travailler, nous étions petits et c’était mon père qui nous faisait vivre”.
A sa sortie de prison, le père d’Asher n’en est que plus motivé pour partir. La famille déménage plus au sud, afin de se faire oublier. Et un an plus tard, c’est le vrai départ.
”Nous avons quitté le village discrètement, avec quelques familles et nous nous sommes mis en route, à pied, vers le Soudan. On nous avait dit qu’au bout de quelques kilomètres, un camion de marchandises nous emmènerait à la frontière. Finalement, ce camion n’est jamais arrivé et nous avons continué à pied”.
Le groupe, composé d’hommes, de femmes, d’enfants et de bébés, marchent sur des kilomètres, avec un objectif : Jérusalem.
”Nous nous approchions du Soudan, il nous restait encore environ deux semaines de marche. Nous avons fait une pause d’un mois environ pendant lequel nous avons cherché des guides armés pour nous accompagner dans les derniers kilomètres et nous faire passer la frontière”. A ce stade, certains des membres du groupe commencent à désespérer et décident de s’arrêter. C’est le cas du frère d’Asher avec sa femme et ses beaux-parents.
Le périple se poursuit par la traversée du désert. ”Nous étions à la merci de brigands”, raconte Asher, ”Quand Shabbat est arrivé, nous avons annoncé aux guides que nous ne reprendrions la marche qu’après Shabbat. Ils ont refusé, arguant du fait que de rester sur place était dangereux. Nous nous sommes obstinés. Sous réserve de recevoir un salaire plus élevé, les guides ont accepté que nous campions pendant Shabbat. Mais nous n’avions pas un centime de plus à leur donner. Les négociations ont été rudes, finalement nous avons pu attendre la fin du shabbat sans rien leur donner en plus”.
Les guides sont bien décidés à reprendre la route dès la nuit tombée le samedi soir. Là encore le groupe s’oppose : ils craignaient de perdre l’un des leurs dans la nuit. Le lendemain matin, ils repartent.
”Nous avons été attaqués par des brigands. Les combats étaient difficiles : des coups de feu retentissaient, les hommes du groupe avaient trouvé des barres de fer qu’ils utilisaient pour se défendre”. Ils finissent par s’en sortir, sans pertes. Mais ce n’est que le début… La nuit tombée, les guides refusent de s’arrêter : trop dangereux. Contraints, Asher et tout le groupe poursuivent leur route. Dans l’obscurité, certains se perdent. ”D’ merci, nous les avons tous retrouvés au matin”.
Ils ne sont pourtant pas au bout de leur peine. ”A la frontière avec le Soudan, il y a un fleuve. Comme nous étions en hiver, il était assez haut. Nous avons donc dû camper, en attendant que le niveau baisse pour pouvoir le traverser”. Seul problème : l’endroit est connu pour être un repaire de cannibales ! ”Les hommes montaient la garde à tour de rôle, 24h/24 et dès qu’un bébé commençait à pleurer, il fallait le faire taire”.
Ils ne rencontreront pas de cannibales, heureusement, mais ils ont dû laisser leurs quelques biens de ce côté de la frontière. Le passage a été difficile, là aussi certains membres du groupe ont été perdus, puis retrouvés. De l’autre côté, c’est l’armée soudanaise qui les attend. Ils obtiennent le statut de réfugiés mais ne savent plus où aller et vers qui se tourner. ”Nous campions près d’un fleuve, les hommes surveillaient. Il faisait chaud la journée et froid la nuit. Les conditions étaient difficiles. Mon père pensait que nous allions tous mourir. Il a préféré nous ramener en Ethiopie”.
Une seconde chance
La famille d’Asher prend un guide pour repartir dans l’autre sens. L’eau manquait et ils ont bien failli mourir de déshydratation et de fatigue. ”Mais D’ieu nous a sauvés de la soif, de la fatigue et des brigands”. Ils finissent par rejoindre le frère resté en Ethiopie où ils s’installent pendant deux ans avant de reprendre le chemin du Soudan, c’est-à-dire de Jérusalem.
Une nouvelle fois, ils se retrouvent dans des camps de réfugiés au Soudan. ”Cette fois la Croix Rouge était présente et s’occupait de nous. Nous tentions de cacher que nous étions juifs et la vraie raison de notre présence”. Au bout de 6 mois sur place, une personne arrive et cherche qui sont les Juifs qui sont là pour faire leur alya. Il les a aidés à trouver un logement jusqu’à ce que des représentants d’Israël viennent les chercher.
A cette époque, entre les deux opérations Moshé et Shlomo, l’Etat envoyait des avions, discrètement, pour récupérer des petits groupes de Juifs d’Ethiopie au Soudan. Le jour où la venue de l’avion était annoncée, il faisait mauvais temps. Asher et sa famille ont dû patienter encore un peu.
”Une nuit, un camion de marchandises est venu nous chercher pour Khartoum. Puis nous avons été conduits au milieu du désert, et là, un avion nous attendait”. Mais, pour ces Juifs d’Ethiopie qui ont toujours vécu dans des conditions rudimentaires, l’avion est un appareil étrange. ”Nous n’en avions jamais vu! Nous avons pris peur et certains voulaient même fuir, refusaient de monter à bord!” Finalement, ils partent et arrivent à Ashkelon. Asher a 14 ans.
Parmi les personnes qui partageaient l’aventure, certaines sont arrivées en Israël, d’autres sont retournées en Ethiopie, d’autres n’ont pas survécu.
Des héros en mal de reconnaissance
La famille est heureuse d’être enfin en Israël. Mais la réalité les fait un peu déchanter, nous avoue Asher: ”nous étions choqués de voir des voitures circuler le Shabbat et nous n’avons pas toujours été reçus comme nous pensions l’être”. Pourtant, les efforts surhumains qu’ils ont déployés pour venir devraient inspirer le respect et l’admiration. ”Jusqu’à aujourd’hui, je me demande comment avons-nous fait pour survivre ! Nous avions une foi si pure. Quand je raconte mon histoire à mes enfants, ils sont fiers”.
La femme d’Asher vient, elle aussi, d’Ehtiopie. ”Elle est arrivée en Israël grâce à son frère. Il a réussi à les faire partir en Europe, en tant que touristes. De France, ils ont fait leur alya”. Aujourd’hui, père de famille, Asher remercie chaque jour Hachem de vivre ici et il demeure convaincu que les progrès que la société a encore à faire vis-à-vis de la communauté éthiopienne, viendront petit à petit. ”Je reste optimiste” ! Le credo de toute une vie.
Guitel Ben-Ishay