Pour le monde, l’an 1840 ressemble à toutes les autres années. Les puissances européennes poursuivent leurs guerres de colonisation, les Français en Algérie, les Anglais en Nouvelle-Zélande. Les premiers bateaux à vapeur parviennent à traverser l’Atlantique de Liverpool à Boston. Les cendres de Napoléon sont transférées aux Invalides.
Mais pour le monde juif, 1840 n’est pas une année comme les autres. Elle correspond à la six centième année du sixième millénaire. Et une très ancienne tradition kabbaliste et même talmudique la considère comme le début tant espéré de l’ère messianique.
C’est Rabbi Dossa qui, le premier, dans le traité Sanhédrin, laisse entendre que les quatre derniers siècles du sixième millénaire seront les siècles de la Gueoula. Mais c’est surtout le Zohar lui-même qui, pour une fois très explicite, écrit : « Lorsqu’arrivera la six centième année du sixième millénaire, HaHadoch baroukh Hou se souviendra de l’Assemblée d’Israël et la relèvera des cendres de son exil. »
Du coup, le Gaon de Vilna, dès la fin du XVIIIe siècle et en prévision de l’an 1840, encourage ses disciples à faire leur alya. Ils seront 500 hommes, femmes et enfants à l’écouter et à monter en Eretz Israël.
Dans la synagogue de Zemlin, près de Belgrade, le rav Alkalay, talmudiste et kabbaliste réputé, connaît lui aussi la signification de l’an 5600. Pour lui, depuis l’avènement du sixième millénaire en 1240, il existe des moments propices pour la Rédemption, tous les soixante ans : 1300, 1360, etc. Mais si, à la dixième occasion, donc en 1840, Israël ne fait pas Techouva, « Dieu n’aura pas d’autre choix que d’envoyer un ennemi aussi cruel qu’Haman et qui nous forcera à revenir. » (Voir Sanhédrin, 97b) « Rassure-toi, mon frère, l’occasion ne se réduit pas à l’année 5600 (1840) mais il s’agit d’un processus qui pourrait durer un siècle, jusqu’en l’an 5700 (1940), ‘has veChalom. » (Shlom Yeroushalayim, page 33)
La Techouva, vous connaissez, votre rabbin vous en parle souvent, surtout entre Roch HaChana et Kippour. Mais pour le rav Alkalay, ce n’est pas du tout de cela dont parlent les versets sur la Techouva qu’on trouve dans les grandes prophéties bibliques. Car il existe deux sortes de Techouva : l’individuelle et la collective. C’est de la première que parlent nos rabbins. Mais les prophètes, eux, parlent de la Techouva collective, celle qui s’adresse au peuple tout entier. Le mot même de Techouva n’apparaît qu’une seule fois dans toute la Bible, remarque le rav Alkalay : dans le livre de Samuel (7, 17), lequel partait chaque année rendre la justice dans différents points d’Israël avant de « revenir à Rama où se trouvait son domicile ». Il s’agit ici d’un retour au point de départ, un retour géographique. Lorsque les prophètes exhortent le peuple à faire Techouva, lorsque le Talmud fait dépendre la Délivrance d’Israël de la Techouva, c’est de la Techouva collective qu’il s’agit : le retour du peuple en Eretz Israël. Et le rav Alkalay de conclure : le temps est venu de faire Techouva, c’est-à-dire de retrouver le chemin de Sion ! Il faut réunir un congrès, élire un chef, négocier avec les grandes puissances, créer une banque, acheter des terres, demander aux Juifs influents de prendre leurs responsabilités et de soutenir le projet. Il voyage en France, en Angleterre et en Allemagne pour les rencontrer. Il publie des livres et des brochures pour expliquer que son projet est réaliste. Il supplie les autorités rabbiniques de se joindre à lui pour encourager le Rassemblement des Exilés. Il monte finalement s’installer à Jérusalem où il meurt en 1878, déçu de constater que son projet n’a pas vraiment convaincu ses contemporains.
Les efforts du rav Alkalay ont-ils été vains ? Pas sûr. Celui qui sonnait le chofar dans la synagogue du rav Alkalay à Zemlin s’appelait Shimon Leib. Il était très proche du rav, qui lui donna son livre Le destin de Dieu ((גורל ה’, dans lequel il décrit en détail son projet de Retour. Jacob, le fils de Shimon, changea de nom en quittant Zemlin pour Budapest, emportant le livre avec lui. « Leib » (Loeb) signifie « cœur », « herz », en allemand : il s’appellera donc Herzl. Il nommera son fils Theodore. La suite est inscrite dans les livres d’histoire du peuple d’Israël.
Arrêtez-moi si je dis des bêtises…
Rav Elie Kling
Texte paru dans LPH Magazine numéro 990.
Lire LPH Magazine en ligne: cliquez ici.
Passionnant. Merci aux premiers pionniers
Alors je vous arrête, la techouva est la même collective ou individuelle. Elle signifie toujours le retour à soi-même c’est à dire a reprendre conscience du sens de la création et de la vie et donc retourner servir Hashem de tout son coeur et de tout son âme.
Même si le mot ”techouva” n’apparaît peut être qu’une seule fois dans la bible, l’idée du retour au service divin lorsque l’on est en galoute (exil) est le seul conseil donné au juif par Moïse (donc par Hashem) tandis que l’idée de retourner en terre d’Israël pour la terre elle même n’est pas mentionnée.
Certes il est des mitsvoth que l’on ne peut accomplir qu’en Israël et même la Torah y est plus forte, mais il faut remplir les conditions pour ne pas que la terre ne nous ”vomissent” (D. Nous préserve) comme on l’a lu la semaine dernière dans Aharei Mot.
Merci pour ces enseignements sur le 6e millénaire.
De la part d’un juif ouvert au débat qui aime son peuple et son pays, qui vit en Israël mais qui pense qu’il ne faut pas tout melanger.
Avec tout mon respect.
C’est avec humilité que je fais ce commentaire sur le vôtre : Vous voyez un mélange à propos du mot “téchouva”. Vous affirmez, à raison, que le retour sur la terre d’Israël n’est pas mentionné explicitement, dans la Torah. C’est tout de même surprenant pour l’érudit que vous devez être, de ne pas tenir compte de l’allusion permanente concernant la nécessité de ce retour. Allusion très souvent considérée comme équivalente à une mention explicite, dans les discussions talmudique. Ce n’est donc pas un “mélange”, mais une autre interprétation du mot téchouva, tout aussi acceptable que la notion individuelle habituelle. A toutes les époques des sages et des rabbins, ont enseigné que le but de la sortie d’Egypte était d’abord, l’installation des Bné Israël sur la terre promise par Dieu, avant même le respect des misvot contenues dans la Torah. L’espace de ce commentaire n’est pas propice à l’énumération des sources de référence. Cordialement.