Le 9 av est aussi le jour où l’on se souvient de l’expulsion des Juifs du Goush Katif.
Ce sont 8600 Juifs répartis dans les 21 yishouvim du Goush Katif qui ont été expulsés, il y a 17 ans, le lendemain de Ticha be Av, par le gouvernement d’Ariel Sharon. Le retrait unilatéral de la bande de Gaza a été une véritable tragédie ou devrions-nous dire 8600 tragédies… sans compter celle que le peuple d’Israël a vécu en solidarité avec ces familles. Et l’actualité ne vient rien arranger: les roquettes par centaines, les champs incendiés, des habitants du Sud qui vivent un quotidien infernal. Tout ça pour ça, a-t-on envie de dire, avec désolation et tristesse.
LPH a été à la rencontre de quelques-uns des nombreux francophones qui ont été expulsés de leur maison, de leur ”paradis”.
Edmond Krief
”J’ai fini par accepter d’avoir été expulsé d’Algérie mais jamais du Goush Katif”
Edmond Krief est arrivé de Toulouse avec son épouse dans le Goush Katif, en 1997, où ils ont rejoint leur fille. ”Nous avons eu le coup de foudre, ce sable, cette ambiance, nous étions sous le charme”. Pour cet ancien de la guerre d’Algérie, les barbelés qui apparaissaient dans le paysage et les menaces sécuritaires ne constituaient certainement pas un obstacle. ”Je ne parlais pas l’hébreu mais tout le monde m’a aidé. La prière à la synagogue était une merveille, pour moi qui n’ai pas grandi dans une ambiance religieuse, je m’y sentais totalement connecté”.
Bien entendu, Edmond se souvient des champs et de l’agriculture, du goût spécial de chaque mets récolté. ”C’était le Gan Eden”.
L’annonce de l’expulsion a été un choc. Sans vouloir y croire, Edmond s’y prépare. ”J’avais déjà vécu un déracinement en partant d’Algérie, je n’étais pas prêt à recommencer. C’était une catastrophe”. Il décide alors de ne pas attendre le jour de l’expulsion pour partir, vivre un tel moment est au-dessus de ses forces. ”Les Juifs ont été expulsés d’Algérie, c’était un déchirement. Mais j’ai fini par accepter, par comprendre que sinon nous ne serions jamais venus en Israël. Mais être expulsé du Goush Katif: je ne pourrai jamais l’accepter”.
”Nous avons vécu des années de bonheur que l’on ne peut décrire, il fallait le vivre pour le comprendre. Nous reviendrons au Goush Katif, peut-être plus moi, mais mes enfants et mes petits-enfants. Je ne ressens pas de haine, pas de colère mais de l’incompréhension”.
Mats
”On m’a volé 10 ans de ma vie”
Mats était un ancien du Goush. Installé depuis le début des années 80, il y exerçait l’activité d’agriculteur. ”Nous sommes venus par idéalisme. Il n’y avait alors que des dunes de sable. Nous étions encouragés en ce sens par le gouvernement Rabin, à l’époque, par des discours et même financièrement”.
Mats a vécu de belles années, en bon entendement avec ses voisins arabes: ”ma femme a passé le permis à Gaza avec un moniteur arabe! Nous allions à Gaza et nous y étions bien accueillis”. L’ambiance a commencé à se dégrader avec la première Intifada. Après les pierres, les bombes ont commencé à tomber sur les Juifs. Mais pour autant, jamais ces familles n’ont pensé à fuir. ”Jusqu’au dernier jour, nous ne pensions pas que nous serions expulsés. Nous n’avions rien emballé”.
Les séquelles sont lourdes: ”Chaque ancien du Goush Katif porte une blessure incurable. Les jeunes ont beaucoup souffert. Jusqu’à aujourd’hui certains sont perdus: le mariage, l’armée, avancer dans la vie, tout est remis en question. Ce fut un moment très fort et très dur dont personne n’est sorti indemne”.
A l’hôtel à Jérusalem pendant un an, Mats et sa famille ont ensuite pu emménager dans une caravane à Ein Tsourim avant de construire leur maison à Yad Binyamin. Cela fait sept ans, que la vie a repris un cours à peu près normal pour eux. ”J’ai l’impression que l’on m’a volé 10 ans de ma vie”.
Et la situation actuelle n’arrange rien: ”On croit que la douleur va passer et elle demeure. Quand on voit ce qui se passe aujourd’hui, on se dit qu’on en a marre d’avoir eu raison. Quand on se sauve de la terreur, elle nous court après”.
Le message que Mats voudrait faire passer s’adresse aux jeunes: ”soyez prudents. La douleur est vive, nous ne voyons pas de volonté de repentir chez ceux qui ont décidé tout cela, mais vous avez la vie devant vous. Notre pays existe, soyons fiers, Am Israël Haï. Nous sommes, malgré tout, dans la bonne direction”.
Milka Dahan
“C’était comme si on y avait toujours vécu”
Milka et sa famille sont arrivés de Nice à Névé Dekalim, en 2000. C’est alors la seconde intifada, on leur déconseille de s’installer dans le Goush Katif. ”Mais on pouvait dire que partout en Israël, c’était dangereux, donc nous avons préféré aller vers là où notre cœur nous portait”. La vie quotidienne est parsemée de tirs de missiles, d’attaques sur les routes. Milka reconnait une certaine peur. Mais elle ne regrette pas son choix: ”Le Goush Katif était un gan Eden. Nous y sommes arrivés avec 4 enfants et nous y avons eu un cinquième. Nous avons été si bien accueillis, nous nous sentions chez nous. Nous y avons passé 5 ans mais nous avions l’impression d’y avoir toujours vécu”.
L’expulsion pour la famille Dahan aussi était impensable. “Nous sommes restés jusqu’au dernier jour. Nous avons prié, pleuré… Nous avons été soutenus par tant de monde. Nous étions catastrophés, mon mari était agriculteur, il adorait son travail. Puis nous nous sommes retrouvés sans emploi, sans logement. Nous nous sommes serrés les coudes: dans la tempête, il faut quand même avancer”. La famille loge, dans un premier temps, à l’hôtel: ”Nous n’avions plus d’adresse, la rentrée des classes a été ”originale”…”. Puis, ils partent s’installer dans une caravane à Yad Binyamin, logement de fortune dans lequel ils resteront 5 ans.
Milka le dit: ”Nous avons tous un peu craqué. Psychologiquement c’était très dur et nous avons gardé des cicatrices”.
Aujourd’hui, Milka veut prendre du recul avec la situation actuelle dans le Sud: ”Il y a toujours eu des guerres. Notre pays se bat et j’ai confiance en nos dirigeants. Je ne veux pas croire que quelque chose n’arrive pas pour le bien. Nous voyons la main de Dieu partout. Nous reviendrons au Goush Katif”.
Haya Eldrey
”Vivre au Goush Katif était un aboutissement”
Haya est arrivé en 1995 dans le Goush Katif. Elle en est tombée amoureuse lors d’un voyage d’études. Elle qui, quelques années plus tôt, ne voulait pas entendre parler de vivre en Israël, nous confie: ”Lorsque j’ai découvert le Goush Katif, je me suis sentie chez moi. Si je n’avais pas laissé mes enfants en France, je n’y serais pas retournée”!
Vivre dans le Goush Katif n’avait rien de politique pour elle, c’était un aboutissement.
Malgré les difficultés de la vie quotidienne, Haya et sa famille sont heureux sur ce coin de terre qu’ils appellent aussi ”paradis”. Lors de l’expulsion, leurs enfants ont entre 15 et 5 ans. ”C’est pour l’aîné que cela a été le plus dur. Il a été coupé dans son développement social, son épanouissement en a été très affecté. Les enfants ont perdu leurs repères”. Haya n’a pas voulu être trimbalée d’hôtel en caravane, elle a préféré prendre un logement à Netivot, où la famille est installée depuis. ”Ce n’est pas pareil d’élever des enfants à Netivot et dans le Goush Katif! Nous avons perdu beaucoup de notre liberté”.
Haya ne s’est pas fait d’illusion, elle savait que l’expulsion aurait lieu. ”C’est comme si Hachem avait endurci le cœur de Sharon, je voyais que rien ne l’arrêterait”.
Elle regrette aujourd’hui le charme que conférait cette région à sa personnalité et à sa vie: ”Je ne me reconnais plus depuis. Au Goush Katif, nous étions portés par des forces surnaturelles”.
Un retour un jour? ”Si les conditions sécuritaires le permettent, oui, et même si cela suppose d’arriver dans le sable et de tout reconstruire, comme nous l’avons déjà fait”.